INTRODUCTION

La Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo, prévoit l’organisation tous les cinq ans des élections présidentielles, législatives, provinciales et locales, bien que la date prévue à cet effet pour ces élections et principalement l’élection présidentielle a été évincée et que la Commission électorale nationale indépendante ne s’est toujours pas prononcée sur la date de cette élection tant attendue par tous.

Face à cette irrégularité que l’on peut qualifier de violation de la Constitution, nous nous interrogeons si l’article 70 alinéas 2 de la Constitution ne soit pas la réponse à cette question de dépassement de la date de l’élection présidentielle.

Dans son Arrêt en interprétation du 11 mai 2016 R.Const.262, la Cour constitutionnelle estime que l’article 70 alinéa 2 « permet au Président de la République arrivé fin mandat de demeurer en fonction, en vertu du principe de la continuité de l’Etat, jusqu’à l’installation du nouveau Président élu ».

Pour la Cour constitutionnelle, cette disposition est claire et ne nécessite pas en principe d’interprétation[1]. Alors qu’en dépit de sa clarté apparente et littérale, l’alinéa 2 de l’article 70 mérite d’être interprété rigoureusement. C’est cette interprétation qui permettra de conclure si ou non, l’article 70 de Constitution autorise la continuité des fonctions présidentielles par une personne dont le mandat a pris fin, sans que s’eût été tenue l’élection présidentielle, pourvu que l’installation effective de son successeur n’ait encore lieu.

C’est cette analyse que nous comptons mettre en lumière tout au long de cette étude.

La Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ces jours intègre les instruments juridiques internationaux des droits de l’homme en son sein et les matérialise dans les droits de première, de deuxième et de troisième génération. Il s’agit notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

De ce fait, il nous semble que l’article 70 de la Constitution matérialise dans son ensemble la lettre et l’esprit de l’article 25 du Pacte international des droits civils et politiques.

Cela étant, une remise en question surgit d’une part sur la conformité de l’Arrêt en interprétation de l’article 70 faite par la Cour constitutionnelle à la lettre et l’esprit de l’article 25 du Pacte international des droits civils et politiques, qui semble s’incarner dans l’article 70 sous examen. D’autre part, la question de la primauté apparente de l’Arrêt sur ce Pacte international auquel la RDC est partie, demeure pendante.

Ces questionnements pertinents méritent bien une analyse objective qui partira d’une hypothèse que nous proposons dans les lignes qui suivent.

La Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, interpelle à son article 26 les Etats parties à un Accord ou Traité international de l’exécuter de bonne foi. Dans ce cas d’espèce, il nous semble que la Cour constitutionnelle en interprétant l’article 70 de la Constitution, l’a vidé de son esprit en s’éloignant de la logique de l’article 25 du Pacte, qui en est l’incarnation.

La Cour constitutionnelle a fondé son interprétation sur les travaux préparatoires de la Constitution et aux autres dispositions constitutionnelles en rapport avec le rapport avec les mandats électifs, tout en laissant de côté l’aspect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Concernant la primauté de l’Arrêt à la fois sur la Constitution et sur le Pacte, nous estimons que le Pacte a toujours la primauté conformément à la position des théoriciens du Droit public international.

Pour bien mener cette analyse, la méthode comparative nous permettra de ressortir les points de convergence et de divergence entre le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Constitution en vigueur et l’Arrêt de la Cour constitutionnelle interprétant l’article 70 de la Constitution. La méthode juridique quant à elle, consistera à l’interprétation des instruments juridiques sous examen.

La présente étude se divise en deux chapitres. Le premier porte sur la présentation des différents instruments juridiques à analyser et le second sur le rapport entre ces instruments juridiques.

CHAPITRE I : PRESENTATION DES DIFFERENTS             INSTRUMENTS JURIDIQUES

Ce chapitre abordera en premier le contenu de l’article 26 du Pacte international des droits civils et politiques (Section I) et en second, présentera le contenu de l’article 70 de la Constitution en vigueur et le contenu de l’Arrêt du 11 mai 2016 de la Cour constitutionnelle congolaise (Section II).

Section I : Le contenu de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Cette section va présenter d’une part le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (§1) et d’autre part, le contenu de l’article 25 dudit Pacte (§2).

§1. Présentation du Pacte

A.   Origine

Les horreurs et violation des droits de l’homme lors de la seconde guerre mondiale avaient basculé les bases morales, juridiques et politiques de la communauté internationale.

Depuis, la protection des droits de l’homme a acquis une nouvelle dimension. Dès le 10 décembre 1948, la déclaration universelle des droits de l’homme voyait le jour, entant que résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, mais elle était dépourvue de la force obligatoire et avait dès le début la vocation à être conventionnalisme par la suite.

Il conviendra un désaccord entre deux blocs relatifs au contenu d’une telle convention, lequel aura pour conséquence la signature de deux Pactes distincts le même jour.

L’un réglant l’idéologie occidentale, concerne les droits civils et politiques (PIDCP), l’autre, en accord avec les valeurs du bloc de l’Est concerne les droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui fait l’objet de notre étude a été adopté à New-York le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa Résolution 2200 A (XXI).

Signalons aussi que, outre la signature tardive de ces Pactes sur évoqués, soit douze ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, leur ratification a encore pris dix ans. Pour le Pacte sous examen, il est intéressant de constater qu’un bon nombre d’Etats étaient déjà respectueux des droits de l’homme ont ratifié ce texte tardivement comme par exemple la France et l’Australie qui l’on promulgué en 1980 et même la Suisse et les USA seulement en 1992[2].

Il est indéniable de dire un mot sur le contenu du Pacte sous examen.

B.   Contenu du Pacte

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976, précise les droits et libertés civils et politiques énumérés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme[3].

Contrairement à la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte de 1966 est juridiquement contraignant et l’organe de contrôle de sa mise en œuvre demeure le Comité des droits de l’homme. Le Pacte comprend 53 articles repartis en cinq parties. 

§2. Contenu de l’article 25 du Pacte

L’article 25 du Pacte dispose ce qui suit : Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables.

  1. De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants librement choisis ;
  2. De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ;
  3. D’accéder, dans des conditions générales d’égalité aux fonctions publiques de son pays.

De la lecture du libellé de cet article, ressort l’idée des droits reconnus à tout citoyen d’élire et d’être éligible. Il sied de signaler que ce fameux droit est reconnu dans divers instruments juridiques tant au niveau international, régional et national.

Il y a donc l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 17 de la Charte africaine de la démocratie ; des élections et de la gouvernance ; l’article 13, point 1et 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, l’article 70 de la Constitution en vigueur.

Ce droit a été donc garanti dans les instruments juridiques précités dans le but de permettre à tout citoyen de prendre part à la direction de son pays et de favoriser ainsi l’alternance au pouvoir.

Section II : Présentation des instruments nationaux

Le cadre juridique congolais relatif aux élections se présente sous la forme d’une pyramide au sommet de laquelle trône la Constitution, tandis que la base est constituée d’un éventail impressionnant d’actes réglementaires[4].

Dans cette section, il sera question d’analyser deux instruments juridiques nationaux suivants, à savoir, la majestueuse constitution en son article 70 (§1), suivie de l’Arrêt rendu par la Cour constitutionnelle l’interprétant en date du 11 mai 2016 (§2).

§1. L’article 70 de la Constitution

Adoptée par referendum populaire et entrée en vigueur le 18 février 2006, la Constitution congolaise dispose en son article 70 :

« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».

Cet article comprend deux alinéas. Le premier alinéa porte sur la durée du mandat présidentiel. Il le fixe à cinq ans, qui peut être renouvelé une seule fois par voie d’élection. Cette disposition est protégée par l’article 220, qui à son tour en interdit toute forme de révision.

 L’alinéa 2 en retour touche la question de la continuité de l’Etat pendant la période qui s’étend entre l’expiration du mandat du Président en exercice et l’investiture du nouveau président élu appelé à le remplacer.      

Notons que cette disposition s’apparente beaucoup à celle de l’article 73, qui dispose :

« Le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la Commission Electorale Nationale Indépendante, quatre-vingts dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ».

Aux termes de ces deux dispositions, la matérialisation du deuxième alinéa de l’article 70 est conditionnée par le démarrage au préalable du scrutin par la CENI pour l’élection d’un nouveau Président.

Le deuxième alinéa de l’article 70 suppose que l’élection s’est déjà tenue, et que le président en exercice reste au pouvoir uniquement le temps que l’on arrive à programmer les résultats définitifs de l’élection et investir le nouveau Président élu, qui, conformément à l’article 74, entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle.

§2. L’Arrêt R. Const.262 de la Cour constitutionnelle du 11 mai 2016

 A l’approche de la fin du second mandat du Président sortant, alors que la perspective de la tenue du scrutin en 2016 s’éloignait chaque jour de plus en plus, les députés de la majorité présidentielle ont saisi la Cour constitutionnelle, sollicitant l’interprétation de l’article 70 alinéa 2 de la constitution en combinaison d’une part, avec les articles 103, 105 et 197, et d’autre part, avec les articles 75 et 76 de la même Constitution.

Signalons que la situation à la source de cette saisine est un affrontement d’opinions entre les députés de la majorité présidentielle et ceux de l’opposition.

La première opinion (celle de la majorité présidentielle) estime que le Président sortant, arrivé à la fin de son dernier mandat, doit demeurer en fonction en attendant l’installation effective de son successeur élu, laquelle installation est matérialisée par la prestation de serment et la prise de ses fonctions, cela même au cas où l’élection présidentielle aurait lieu au-delà du délai fixé par la Constitution.

L’opposition en revanche, pense que la fin du mandat non suivi de l’installation effective du nouveau Président de la République élu crée la vacance de la présidence de la république, conforment aux prescrits des articles 75 et 76 de la Constitution auquel cas la fonction du Président de la république est assurée par le Président du Sénat.

En effet, il est évident que la Cour a su répondre favorablement à la préoccupation des députés kabilistes, qui en réalité, si l’on peut le dire, étaient de vouloir trouver la confirmation que le Président sortant pourra rester au pouvoir tout le temps possible, tant que les élections présidentielles n’auront pas eu lieu.

Certes, les Arrêts de la Cour constitutionnelle de sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ainsi, sans vouloir déroger à cette disposition constitutionnelle, nous pouvons faire une analyse scientifique de cet Arrêt constitutionnelle incoercible mais qui estime que suivant le principe de la continuité de l’Etat, le Président sortant reste en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu. Ainsi dans la même logique, le point en rapport avec les perspectives présentera notre analyse de cet Arrêt.

CHAPITRE II : RAPPORT ENTRE L’ARRET R.CONST.262, L’ARTICLE 70 DE LA CONSTITUTION ET L’ARTICLE 25 DU PACTE

 Ce chapitre consistera à présenter d’une part, la complémentarité initiale entre l’article 25 du Pacte et l’article 70 de la Constitution dans son ensemble (Section I) et d’autre part, leur démarcation après l’interprétation de l’alinéa 2 de l’article 70 de la Constitution par l’Arrêt R.Const.262 du 11 mai 2016 et quelques perspectives et commentaires dudit Arrêt (Section II).

Section I : Le mariage entre l’article 25 du pacte et l’article 70 de la constitution

 La Constitution en vigueur mentionne dans son préambule l’adhésion et l’attachement de la RDC à la Déclaration universelle des droits de l’homme, à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, aux Conventions des Nations unies sur les Droits de l’enfant et sur les Droits de la femme,…[5]

Cela sous-entend que la RDC a adhéré aussi automatiquement au Pacte international relatif aux civils et politiques, qui n’est que la copie conforme de la Déclaration universelle des droits de l’homme.  Ce qui explique la matérialisation des articles dudit Pacte par le constituant congolais, notamment de l’article 25 par l’article 70 de la Constitution.

La question en rapport avec le mariage de ces deux dispositions renvoi à l’analyse de l’esprit de chacune de ces deux dispositions pour vérifier leur complémentarité et harmonie.

En effet, il ressort de l’article 25 du Pacte, la garantie aux citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques de leurs Etats soit directement en étant éligible, soit aussi indirectement par voie des élections de ses représentants et cela de manière périodique. C’est dans ce même ordre d’idées que l’article 70 de la Constitution organise cette participation indirecte à la gestion des affaires publiques d’une part en limitant le nombre et la durée du mandat de la personne qui bénéficie de la confiance des citoyens et d’autre part, en organisant la procédure devant présider la fin de ce mandat et le commencement d’un nouvel mandat.

Donc ces deux dispositions étaient complémentaires avant l’Arrêt de la Cour constitutionnelle, car l’article 25 du Pacte posait le principe et l’article 70 de la Constitution en vigueur prévoyait dans son esprit initial, le mécanisme par lequel ce droit au vote devrait être exercé.

C’est à ce titre que nous affirmons la complémentarité dans la lettre et l’esprit entre ces deux dispositions, qui cependant, n’est pas restée intacte.

Section II : le divorce entre l’article 25 du pacte et l’article 70 de la constitution et perspectives

Comme on peut le constater, la complémentarité initiale entre l’article 25 du Pacte et l’article 70 de la Constitution n’a pas demeurée après le prononcé de l’Arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mai 2016, interprétant l’alinéa 2 de l’article 70 de la constitution.

En effet, cet Arrêt a provoqué le prolongement de la mandature du Président arrivé fin mandat en ne prévoyant pas un délai précis de la fin de cette mandature et de l’organisation de l’élection, mais conditionnant seulement sa fin par l’élection de son successeur.[6] Ce qui est une violation de l’article 25 du Pacte qui n’est plus désormais matérialisé par l’alinéa 2 de l’article 70 de la Constitution, qui vient de voir changé son contenu qui est interprété par ledit l’Arrêt.

Vue cette crise constitutionnelle dans laquelle la RDC est plongée et avec la bénédiction de la Cour constitutionnelle, il s’avère nécessaire d’analyser certains principes pris en compte de manière superficielle par cette haute juridiction lors de son interprétation de l’article 70 alinéa 2, avant de proposer quelques suggestions si possibles.

§1. Fin du mandat présidentiel et continuité étatique selon l’article 70 al. 2

Selon cet alinéa, le Président de la république reste en fonction à la fin de son mandat, en attendant l’installation effective du nouveau président élu. Cette disposition étant la concrétisation de la continuité de l’Etat, suppose-t-elle oui ou non qu’il ait avant tout l’élection du nouveau président ?

Il apparait utile de répondre à cette question à la lumière de l’article 69 alinéas 3 de la Constitution, qui mentionne la continuité de l’Etat dont l’étude s’impose aussi de sa notion et ses variantes.

A.   La continuité de l’Etat selon l’article 69 alinéa 3

Cet alinéa de la l’article 69 dispose que le Président de la république assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoir publics et de ses institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Cet article qui est le clonage de l’’article 5 de la Constitution française du 04 octobre 19589 ne définit pas la continuité de l’Etat.

Il confère uniquement au Président de la république en exercice la compétence d’assurer cette continuité en vue de préserver la permanence de la vie nationale[7].

Il en résulte que le Président de la République a l’obligation d’assurer le fonctionnement permanant des institutions, sans s’y substituer afin que ne s’arrête pas la vie de la Nation.

Assurer la continuité de l’Etat s’opère par l’arbitrage qui consiste en l’exercice de ses compétences en tant qu’incarnation du pouvoir indivisible de l’Etat et, donc, placé au-dessus de toutes les institutions étatiques. De l’arbitrage, on peut faire découler, entre autres, les attributions présidentielles[8].

L’arbitrage ne constitue pas une dérogation aux normes constitutionnelles. Il doit s’effectuer dans le respect de la Constitution. Il doit être compris, à la lumière de l’article 69 alinéa 2 comme la manière de veiller au respect de la Constitution. De ce fait, le Président de la république ne peut assurer la continuité de l’Etat que dans le strict respect de la Constitution.

Donc la question de la continuité de l’Etat ne se pose que lorsqu’une de ses compétences est menacée. Comme on peut le constater, l’article 69 alinéa 3 de la Constitution ne fonde pas la continuité de l’Etat, tels qu’évoqué par l’Arrêt de la Cour constitutionnelle. Il fonde plutôt le pouvoir d’arbitrage comme la manière dont cette continuité doit être assurée par le Président de la république.

B.   La continuité de l’Etat selon le droit administratif

La continuité de l’Etat est un principe général de droit administratif selon lequel l’Etat doit continuer à assurer l’ordre public et à offrir ses services à sa population quelles que soient les circonstances.12 [9]

En effet, la mission essentielle de l’Etat est de garantir la continuité de la gestion des affaires du pays. A ce niveau, il sied de distinguer la continuité de l’Etat de la continuité du mandat, qui est concrétisée par l’article 75 de la Constitution à teneur duquel

« En cas de vacances pour cause de décès, de démission ou pour toute autres cause d’empêchement définitif, les fonctions du Président de la république, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ».

 Même avec la continuité du mandat, l’Arrêt de la Cour ne tient toujours pas, car la continuité du mandat n’est pas le renouvellement du mandat. C’est le renouvellement de la confiance par le peuple qui est l’octroi d’un autre mandat.

C’est ce renouvellement que mentionne l’article 70 à son alinéa 1er et qui consiste à élire pour un second mandat présidentiel la personne qui a épuisé le premier.

§2. La continuité fonctionnelle en attendant l’installation d’un nouveau Président

Une lecture autonomiste de l’article 70 alinéa 2 de la Constitution, lequel consacre le principe de continuité fonctionnelle, pourrait conduire à une inférence facile que sans installation effective, le Président en exercice peut rester en fonction aussi longtemps que l’élection présidentielle tardera à venir ou tant que durera le processus électoral permettant l’élection de son successeur.

Pourtant la disposition qui dispose qu’à la fin de son mandat, le Président en exercice reste en fonction non pas « jusqu’à l’élection du nouveau Président » mais « jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».

Aussi faudrait-il une interprétation intelligente permettant d’appréhender la véritable portée de cette nuance et de préciser la période visée par la disposition constitutionnelle sous examen.

A.   La continuité fonctionnelle après l’élection du nouveau Président

L’article 70 alinéa 2 dispose : « A la fin de son mandat, le Président de la république reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».

De la synthèse du débat général d’avril 2005 sur l’avant-projet de la Constitution qui fonde cette disposition sur le souci d’éviter le vide institutionnel[10], la Cour constitutionnelle déduit que l’article 70 alinéa 2 permet au Président de la république arrivé fin mandat de demeurer en fonction, en vertu du principe de la continuité de l’Etat, jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu[11].

L’article 70 alinéa 2 est à interpréter non pas de manière autonome, mais à la lumière du premier alinéa qui fixe la durée du mandat présidentiel à cinq ans. L’élection du nouveau Président doit intervenir avant la fin du mandat de cinq ans précédant.

C’est pourquoi l’article 73 prévoit que le scrutin pour l’élection présidentielle soit convoqué quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice.

Il en résulte que le vide institutionnel qu’il faut éviter et auquel la Cour constitutionnelle fait référence, renvoie dans la synthèse du débat sur l’avant-projet de la Constitution, à la période qui va de la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle à l’investiture du président élu, et non pas à celle qui précède l’élection programmée au-delà du mandat de cinq ans.

La continuité fonctionnelle n’a pas, ici, pour but de proroger le mandat d’un Président qui n’a pas favorisé l’organisation de l’élection de son successeur. Elle n’offre pas la possibilité de prolonger indéfiniment un mandat présidentiel expiré et non renouvelé par le mandat.

La Cour constitutionnelle abonde dans le même sens à travers une constatation dont elle ne tire pas toutes les conséquences :

« Alors qu’avant de quitter le poste, en cas de non réélection après un premier mandat ou à l’expiration de son second mandat, le Président de la république, attendra de passer le pouvoir à son successeur élu en vue de l’installation effective de celui-ci ».

En clair, la période visée par l’article 70 alinéa 2 n’est pas celle précédant l’élection qui doit absolument avoir lieu avant la fin du mandat du Président en exercice, mais celle qui va de l’élection du nouveau Président à son investiture. Mais que doit-il se passer si le mandat présidentiel a expiré alors que l’élection présidentielle n’a pas encore eu lieu ?

B.   La continuité fonctionnelle en cas d’expiration du mandat présidentiel et en l’absence de l’élection présidentielle

La Constitution ne prévoit pas de continuité fonctionnelle pour le cas où le mandat du Président de la république a expiré alors que l’élection présidentielle n’a pas encore eu lieu. On pourrait être tenté de se rabattre sur l’article 70 alinéa 2, mais cette disposition, on le sait bien maintenant, suppose que le nouveau président a déjà été élu. Aussi, celui qui est fin mandat reste en fonction jusqu’à l’installation du nouvel élu.

Dès lors, comment peut-on combler cette lacune constitutionnelle par l’application de la continuité fonctionnelle de l’institution présidentielle ?

On est dans un cas de figure où le mandataire n’a plus de mandat et où le mandat n’est encore confié à personne, automatiquement, le pouvoir revient au mandant qui est le peuple congolais et qui doit désigner un autre mandataire. Mais, en attendant l’organisation de l’élection présidentielle, on pourrait procéder à l’application analogique conjointe des articles 70 alinéa 2 et 76 alinéa 2-4.

Cette possibilité n’est envisageable que si la non organisation de l’élection dans le délai constitutionnel a été causée par un cas de force majeure non créée par la CENI et les institutions de la république et en l’absence de la mauvaise foi et de l’abus de pouvoir.

Il découle que le Président de la république dont le mandat arrive à son terme pourrait rester en fonction avec pour mission de veiller à l’organisation de l’élection présidentielle dans les 60 à 90 jours qui suivent la fin de son mandat, mais pas au-delà de 120 jours.

En effet, il faut rappeler que le principe de la continuité de l’Etat, en l’espèce la continuité fonctionnelle de l’institution présidentielle, ne confère pas le droit à un autre mandat.

En dehors du cas de force majeure au sens qui vient d’être présenté, nous proposerons que le peuple devra reprendre son pouvoir et l’exercer à travers les députés qui sont ses représentants directs, avec pour mission principale d’organiser l’élection présidentielle le plus rapidement possible, c’est-à-dire dans un délai qui n’excédera pas 120 jours.

Comme il s’était avéré, avec l’appréciation objective de la CENI et validée par la Cour constitutionnelle que l’élection ne pouvait pas être organisée dans ces 120 jours, les représentants nationaux (députés) devraient designer à la majorité absolue, un Président de la république transitoire parmi les candidats qui seront proposés par la Société civile et qui n’ont pas exercé une fonction publique dirigeante au cours du quinquennat précédent[12].

Ce Président, dont le mandat n’excédera pas 12 mois, pourrait former, dès sa désignation, un gouvernement constitué de dix technocrates selon notre estimation au maximum et ayant pour mission de veiller à l’organisation de l’élection présidentielle[13].

CONCLUSION

En somme, le droit de vote, un droit sacré permettant à tout citoyen d’exprimer sa volonté au moyen de scrutin a été malheureusement bafoué et continu à l’être par la plupart d’Etats africains, en l’occurrence la république démocratique du Congo.

Ce droit fondamental tant garanti par les instruments juridiques internationaux auxquels ladite République est partie (c’est-à-dire a ratifié) a sans doute perdu sa valeur par le truchement d’un arrêt d’une juridiction étatique.

Force est de constater que l’Etat à qui revient la charge de protéger ce droit se veut lui-même un facteur garantissant la violation dudit droit ; alors que BOUTROS-BOUTROS GHALI en 2013, lors du 10ème anniversaire de la Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l’homme disait : « l’Etat devrait être le meilleur garant des droits de l’homme ».

 Le droit au vote périodique prôné par l’article 25 du Pacte a été systématique écarté au profit des accords politiques tendant à fixer un délai non légal pour l’organisation d’élection présidentielle, c’est-à-dire un délai consensuel entre acteurs politiques au préjudice du peuple qui se voit mis à l’écart.

En effet, on remarque qu’avant le 11 mai 2016, c’est-à-dire avant le prononcé de l’arrêt sur l’interprétation de l’article 70 alinéas 2 de la Constitution, le trait d’union ou mieux la complémentarité entre l’article 25 du Pacte et l’article 70 de la Constitution existait bel et bien, en ce sens que ce dernier prévoyait l’organisation périodique de l’élection présidentielle, c’est-à-dire chaque cinq an. Tel est l’esprit même de l’article 25 du Pacte.

Par contre, l’Arrêt R. Const.262 du 11 mai 2016 de la Cour constitutionnelle est venu modifier le contenu de l’article 70 alinéa 2 de la Constitution, qui accorde désormais la possibilité au Président fin mandat qui n’a pas organisé l’élection de son successeur, de demeurer au pouvoir aussi longtemps qu’il n’y aura pas son remplaçant. Ce qui a pour conséquence logique le divorce entre l’esprit de l’article 25 du Pacte et celui de l’article 70 de la Constitution.

 A cet effet, une question surgit en rapport avec la primauté de cet arrêt sur la Constitution qu’il semble changer de contenu d’un côté et celle des traités internationaux (en cas d’espèce du Pacte) sur la Constitution qui semble le contredire désormais par l’interprétation de l’arrêt de la Cour d’un autre.

En effet, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne peut logiquement avoir la primauté sur la Constitution, qui est source de sa légitimité et ses compétences en vertu du principe Nemo dat quod non habet.

Pour ce qui est de la primauté des traités internationaux (du Pacte) sur la Constitution et l’arrêt pour ce qui nous concerne, une jurisprudence de l’ancienne Cour permanente de justice international (CPJI) affirme :

« Un Etat ne peut, vis-à-vis d’un autre Etat, se prévaloir des dispositions constitutionnelles de ce dernier, mais seulement du droit international et des engagements internationaux valablement contractés (et inversement) »[14].

Il découle de cette jurisprudence qu’un Etat ne saurait invoquer, vis-à-vis d’un autre Etat, sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui impose le droit international ou les traités en vigueur. En somme nous affirmons que le Pacte devrait avoir la primauté, et donc, il fallait que la Cour tienne compte des prescrits du Pacte que de se limiter sur l’avant-projet.

BIBLIOGRAPHIE

I. Textes Juridiques

  • Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République démocratique du Congo ;
  • Constitution française du 04 octobre 1958.

II. Jurisprudence

  • Arrêt R. Const.262 du 11 mai 2016 de la Cour constitutionnelle
  • Avis consultatif de la CPJI fascicule n°44 du 04 février 1932 relatif au traitement des nationaux polonais à Dantzig.

III. Ouvrages

  • Didier TRUCHET, Droit administratif, 5ème éd., PUF, Paris 2013 ;
  • J. L. ESAMBO, La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme, Louvain-la Neuve, Académia Bruylant, 2010 ;
  • Loïc CADIET, Panorama des modes alternatifs de règlement des conflits en droit français, R.L.R ;
  • Maral WETSH’OKONDA KOSO et BALINGENE KAHOMBO, Le pari du respect de la vérité des urnes en Afrique : analyse des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011 en République démocratique du Congo, Kinshasa, Mediaspaul, 2013 ;
  • Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, 3ème éd., PUF, Paris 2012, verbis « Continuité de l’Etat ».

IV. Articles  

  • Blogs.4-paris10.fr/content/l’efficacité-du-pacte-international-relatif-auxdroits-civils-et-politiques-en-droit-interne, consulté le 19 mai 2017 à 14h34 ;
  • Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les jeunes-Conseil d’Europe.

[1] Arrêt R.Const.262. du 11 mai 2016, sous I, §2

[2]Blogs.4-paris10.fr/content/l’efficacité-du-pacte-international-relatif-aux-droits-civils-et-politiques-en-droitinterne, consulté le 19 mai 2017 à 14h34’

[3] Tiré du manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les jeunes-Conseil d’Europe.

[4] Maral WETSH’OKONDA KOSO et BALINGENE KAHOMBO, « Le pari du respect de la vérité des urnes en Afrique : analyse des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011 en République démocratique du Congo », Kinshasa, Mediaspaul, 2013, p.7.

[5] Extrait du préambule de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République démocratique du Congo.

[6] Arrêt R.Const.262 du 11 mai 2016, sous chiffre 1, §2-3.

[7] Cet alinéa dispose : « Le Président de la république veuille au respect de la Constitution, il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ».

[8] Cfr. Les articles 77 ; 78 ; 79 ; 82 ; 85 ; 86 ; 116 ; 139 ; 143 ; 145 ; 161 et 218 de la Constitution en vigueur.

[9] Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, 3ème éd., PUF, Paris 2012, verbis « Continuité de l’Etat ».

[10] « Un deuxième alinéa a été ajouté pour que le Président de la république sortant puisse rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu afin d’éviter le vide institutionnel » Arrêt Const.262 sous chiffre 1. §2.

[11] Arrêt R. Const.262, sous chiffre 1. §3.

[12] Cela pour respecter les droits fondamentaux du peuple consacrés à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[13] Nous estimons que cette solution est plus objective et disciplinaire au régime qui a été incapable d’organiser les élections, à la place de recourir aux accords politiques, qui n’ont aucune valeur juridique et qui ne garantissent pas l’organisation impérative de cette élection, parce que leur application est dépendante de la bonne foi des parties.

[14] CPJI, Avis consultatif fascicule n°44 du 04 février 1932 relatif au traitement des nationaux polonais à Dantzig.

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